Une vérité qui dérange

Publié le par MB pour Désirs d'Avenir 22

INTERVIEW DE JEAN-PAUL JAUD

"Nos enfants nous accuseront"




Sorti le 5 novembre dernier, "Nos enfants nous accuseront " connaît un succès retentissant. Sans peur d'affronter une réalité dramatique, Jean-Paul Jaud s'attaque aux dangers de l'agriculture chimique. Retour sur un documentaire alarmant qui ne cesse d'agiter les foules.

Jean-Paul Jaud ne mâche pas ses mots. Partout on l'entend prôner les vertus du bio au détriment de notre alimentation conventionnelle, qui serait l'une des causes principales de la montée en flèche du nombre des cancers dans le monde. Une dénonciation effrayante qui n'est pas sans susciter une certaine controverse, à laquelle le réalisateur répond sans tabou.



Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser un film sur l'environnement et sur le thème plus spécifique de l'alimentation ?

De bons films d'investigation ont déjà abordé ce sujet, mais aucun n'a réellement apporté de solutions. Il est pourtant important de rappeler que l'alimentation influe à hauteur de 30 % sur le réchauffement climatique. Face à cette situation d'urgence, j'ai cherché à savoir ce qui toucherait le plus les gens au quotidien en créant un mouvement fédérateur autour d'un lieu familier : la cantine scolaire. En effet, la cantine a une résonance particulière dans l'esprit de tous car chacun l'a un jour côtoyée, chacun y a mangé.


Sur quelles sources vous êtes-vous appuyé pour réaliser ce film ?

Ce film s'appuie sur des témoignages et des travaux scientifiques, notamment le colloque organisé par l'ARTAC, l'Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse, à Paris en novembre 2006. A l'origine de cette conférence, il y a l'Appel de Paris, qui, présidé par Dominique Belpomme, avait réuni, deux ans auparavant, pas moins de soixante-dix scientifiques européens et anglo-saxons, ainsi que plus de deux millions de médecins européens. En me rendant à ce colloque, je savais que j'y trouverais les informations et les preuves nécessaires pour analyser au mieux la réalité de la situation.


S'agissait-il pour vous de tirer une sonnette d'alarme ?

Bien sûr, mais ce sont d'abord les scientifiques qui se disent alarmistes. Je veux surtout relayer les propos des médecins anglais (Richard Clapp, John Peterson Myers), français (Dominique Belpomme, Charles Sultan), ou encore des spécialistes environnementaux comme Philippe Debrosse, Marc Dufumier de l'INRA. (1) Et même Yann Arthus-Bertrand, qui, en tant que photographe paysager, est malheureusement aux premières loges pour constater la détérioration de la planète.


Votre film nourrit déjà la controverse auprès des critiques et du public. On vous reproche notamment un manque de preuves…

Toutes les sources sont au générique de fin ! Encore faut-il regarder le film jusqu'au bout. J'ai conscience de ne pas être un scientifique aussi ai-je pris des précautions. Je suis cinéaste. Vous imaginez donc bien que j'ai d'abord cherché à m'entourer de spécialistes : François Viret, spécialiste des pesticides, qui a écrit deux ouvrages sur le sujet, Lilian Le Goff, un des premiers instigateurs de la nourriture bio en France et médecin environnementaliste, ou encore Stéphane Veyrat, ingénieur agronome de formation. D'autre part, douter de la véracité des chiffres, c'est remettre en question l'ARTAC, et nier la compétence des lauréats du prix Nobel. Notamment celui de cette année, le professeur Montagnier. Tous ont signé l'Appel de Paris. Si l'on remet en cause les Nobel - et on peut le faire –, mieux vaut avoir de sacrés arguments !


Au delà du projet documentaire, avez-vous envisagé des démarches auprès des politiques ?


Non, le rôle du cinéaste est de s'exprimer en restant fidèle à ses convictions. Un film est une oeuvre artistique mais c'est aussi un outil d'informations et d'action précieux que les hommes politiques doivent savoir utiliser afin de répondre aux questionnements de la population. D'ailleurs, certains d'entre eux m'ont apporté leur soutien. Sur Canal +, le ministre de l'Environnement a défendu ce film qu'il a qualifié de "fondamental", au même titre que celui d'Al Gore, 'Une vérité qui dérange'.


A propos de la population, avez-vous le sentiment qu'il y a une vraie prise de conscience dans la société ?

J'accompagne ce film depuis sa sortie et je constate avec bonheur que les salles se remplissent de plus en plus, surtout en province. On est même parfois dans l'obligation de refuser des entrées ! Le film est véritablement porté par un public très éclectique. Quels que soient les âges et les catégories sociales, le sujet concerne et intéresse tout le monde, même les enfants : ils restent sur leur fauteuil jusqu'à la fin du film.


On entend partout : "Le bio, c'est trop cher." Comment lever les a priori et convaincre les gens du contraire ?

L'agriculture bio ne reçoit aucune aide financière, ce qui explique son prix souvent supérieur par rapport à l'agriculture conventionnelle qui, elle, bénéficie de subventions. Rappelons néanmoins que pour certains produits bio, les magasins spécialisés présentent des prix moins chers que ceux proposés par les grandes surfaces. L'agriculture traditionnelle est une agriculture chimique, à l'origine de certaines maladies. Et les personnes qui consomment cette nourriture en paient physiquement les conséquences. Et tout cela a un coût pour la Sécurité sociale. Les chiffres sont éloquents ! Et au-delà des bienfaits pour la santé, il faut se dire que plus nous consommerons bio, plus les prix auront tendance à baisser. Enfin, il est important de rappeler que les aliments bio ont une qualité nutritive supérieure. La sensation de faim est ainsi apaisée plus rapidement. C'est également diminuer l'alimentation carnée au profit des protéines végétales, qui sont souvent à moindre coût. Dans le village de Barjac, par exemple, 63 % des foyers sont non imposables. Malgré cette précarité, la population a choisi de privilégier une alimentation saine.


Un deuxième projet serait en préparation…

La suite se présentera sous la forme d'une nouvelle chronique au coeur du village de Barjac, et ce pendant un an. Face à l'ampleur des environnementaux, la situation nécessite plusieurs films. D'autre part, les gens veulent connaître la suite de l'expérience. Avoir des nouvelles de la petite Moera née pendant le film, et de Camille, victime d'une leucémie. Par ailleurs, le lieu même de Barjac est symbolique. C'est un village typiquement français où l'identification est possible pour chacun d'entre nous.

(1) Institut national de la recherche agronomique.

Propos recueillis par Maud Denarié pour Evene.fr - Décembre 2008

Publié dans Manifestation

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