Je ne suis pas rancunière
A quelques jours du vote des militants pour la désignation du candidat du Parti Socialiste, Ségolène Royal a accordé cette interview au Journal Du Dimanche. Trois femmes démocrates, dont Hillary Clinton, viennent démerger du scrutin américain. Quest-ce que cela vous inspire ? Larbre ne doit pas cacher la forêt. Il ne faudrait pas accréditer lidée que laccès des femmes aux responsabilités est une chose acquise. De plus, le jour où trois femmes démocrates émergent aux Etats-Unis, on apprend quen France, une femme est violée toutes les deux heures. Il y a encore tellement à faire contre ces violences cachées faites aux femmes, contre le harcèlement sexuel, les inégalités salariales
La question des femmes na donc pas beaucoup progressé. Je pense même le contraire, quand jobserve que 80 % des travailleurs précaires sont des femmes. Cependant, le fait quune femme puisse être candidate à lElysée ne montre-t-il pas un progrès ? Je crains quon ne se réjouisse trop vite e t quà partir de quelques symboles, on se dise: « Voilà, cest fait », alors que les résistances machistes sont fortes. Au plus profond de certains hommes, il y a antinomie entre lexercice de lautorité et du pouvoir, et lefait dêtre une femme. On voit dailleurs ressortir des plaisanteries douteuses. Quel bilan tirez-vous de ces débats que vous craigniez au départ ? Le parti a pris le risque daffaiblir son candidat. Doutant de mes capacités, ce sont les deux autres qui ont voulu ces débats. Et sils en ont exigé six, cest quils pensaient que je ne tiendrais pas la distance. Finalement, les militants ont permis que tout se déroule correctement et moi, jai refusé de répondre aux attaques très violentes dont jai été lobjet. Si jétais tombée dans la polémique, cela aurait pu très mal se terminer. Or, à lissue de ce processus, ma légitimité nest plus contestable, et le PS en sort grandi. Cest bien. Que pensez-vous de la vidéo qui circule sur le Net et dans laquelle vous affirmez que les enseignants devraient être présents 35 heures par semaine au collège, au lieu de donner des cours de soutien dans le privé ? Ce sont des méthodes de fin de campagne. Je les déplore. Les questions déducation méritent mieux que ce genre de procédé. Je pense quune vraie révolution éducative est nécessaire pour lutter contre léchec scolaire. Je préconise donc que les moyens à donner à léducation et à lorganisation du travail dans les collèges fassent lobjet dun débat approfondi dès la campagne présidentielle et que lon réponde au besoin de soutien scolaire individualisé. Je redis ici toute lestime et la confiance que jai dans les enseignants. Ces mauvaises méthodes ne compromettent-elles pas le rassemblement des socialistes derrière le vainqueur ? Plus la participation sera forte, plus le score sera net, et mieux les socialistes pourront se rassembler. Cest pourquoi la désignation du candidat, largement et dès le premier tour, est indispensable pour combattre la droite et les dégâts de sa politique. Etes-vous rancunière ? Non, pas assez, cest peut-être ma faiblesse. Mais comme je vais de lavant, je ne traîne pas avec moi les scories du passé, toutes les méchancetés, les humiliations
Pourquoi les militants voteraient-ils pour vous jeudi soir ? Mais parce que je peux gagner! Je suis la seule à pouvoir lemporter sur la droite. Jincarne le changement profond que réclament les gens. Pour beaucoup, je suis la candidate contre les pouvoirs en place, contre les pesanteurs, contre ceux qui se pensent propriétaires de la chose publique. Il y a un côté insoumission chez mes partisans. Que la symbolique du père de la nation puisse être une femme, ça, cest une révolution! Vous sentez-vous prête à affronter le débat, vraiment contradictoire celui-là, avec des adversaires de droite ? Tout à fait, le débat sera plus clair, donc plus motivant. Nicolas Sarkozy ne vous fait-il pas peur ? Mais cest aux Français quil fait peur! Même sil reprend certaines idées du projet du PS, comme le remboursement des aides publiques par les entreprises qui délocalisent ? Il ny a pas de risques de nous confondre. On ne fera pas une seconde fois aux Français le coup de la fracture sociale. Mais pourtant, son thème de la rupture paraît marcher
Les gens ont tellement besoin de croire au changement, de croire à lefficacité du politique! Précisément, si je mène une bonne campagne, je saurai faire la différence. La campagne sera-t-elle à nouveau axée sur la sécurité ? Moi, je suis axée sur les problèmes du pays: la relance de lemploi, la lutte contre toutes les formes dinsécurité, mais aussi laide à ceux qui décrochent. Je veux tenir les deux bouts de la chaîne. Les sécurités quotidiennes sont le problème majeur des catégories populaires. Ceux qui, au PS, mont traitée de « deuxième Sarkozy », sont à côté. Ce thème de la sécurité renforce-t-il le vote Le Pen ? La question que je me pose cest comment ramener les électeurs dextrême droite dans le giron républicain ? Parmi les électeurs de Le Pen, une partie, la moins nombreuse, adhère à ses idées. Les autres votent par colère. Il ny a pas de honte à sadresser à eux, le Front national nest propriétaire daucun électeur. Limportant, cest dêtre vrai. Je ne veux pas revivre le 21 avril 2002. Le Pen doit-il avoir ses 500 signatures ? Cest son problème. Si vous êtes désignée par le PS, comment comptez-vous rassembler la gauche ? Je crois à notre force de persuasion, et je fais le pari de rassembler un maximum de personnalités dès le premier tour. Cest mon côté idéaliste. Je ne suis pas inquiète et je mattellerai à cette tâche immédiatement, si je suis désignée. Et Jean-Pierre Chevènement ? Jai bon espoir de le convaincre, dès lors quil se sentira respecté dans son itinéraire et ses convictions, qui font partie du patrimoine de la gauche. Un rapprochement avec François Bayrou est-il envisageable ? Il est hors de question de nouer des alliances dappareil avec la droite. Mais il peut y avoir des convergences sur des projets de loi. On appelle cela des majorités de projets. Vos détracteurs vous soupçonnent de vouloir transformer le PS en parti de supporteurs? Quil y ait des supporteurs ne me choque pas, ce sont eux qui mont soutenue. Je respecte suffisamment les adhérents pour penser que, sils peuvent être des « supporteurs », cest parce quils ont des convictions. Interview Pascale Amaudric et Florence Muracciole Source : Le JDD